concorde fan a écrit:Merci Jacques pour tes super explications, limpides comme à chaque fois, j’aime beaucoup ta pédagogie.
François
PS : Peux-tu nous raconter ton pire ou meilleur souvenir météo en vol ?
Ah, euh oui avec plaisir.
Le pire:
Ça remonte au début du siècle (j'adore dire ça!), jeune CPL/IR je montais mes heures de bimoteur et j'avais loué un Piper Aztec pour me rendre depuis Québec aux îles de la Madeleine et retour Montréal depuis Halifax deux jours après dans la nuit.
A Halifax, je prends la MTO pendant qu'on ravitaille. Ça se présente mal, une gigantesque ligne d'orages en provenance des Grands Lacs se dirige vers Montréal et tout droit vers la chaîne des Appalaches, chaîne que je vais traverser car c'est la ligne la plus directe vers Montréal depuis Halifax.
Il faut partir, et sans traîner, et par précaution, je demande un plein complet, tout en discutant avec les deux pilotes du Challenger Bombardier garé à côté, ravitaillant en attendant de traverser l'Atlantique et dans lequel dorment Brad Pitt et Angelina Jolie!
Le plan de Vol IFR déposé est au plus court, le début du vol se passe bien, et nous procédons vers le grand trou noir des Appalaches dans une nuit très sombre. Déjà au loin j'aperçois des éclairs réguliers droit devant. J'ai à mon bord femme et bébé, il faut assurer. Tout en cheminant je passe sur le prochain VOR en route, un VOR situé aux USA, puisque je survole brièvement les US.
Grande nouveauté par rapport au Canada, la plupart des VOR US passent en phonie sur leur fréquence outre leur indicatif, des messages importants. Et là j'entends en Anglais un VOLMET apocalyptique: la ligne d'orage s'est renforcée et densifiée, elle a dépassé Montréal et se dirige droit sur nous, et son centre le plus actif est pile devant, d'après les coordonnées données. De nombreux rapports de pilotes signalent de la turbulence sévère.
Mouais...Je chope la carte et je reproduis grossièrement la ligne de front qui s'étale sur plus de 200 km Nord-Est/Sud-Ouest. Ma trajectoire tape en plein dedans. Il fait nuit noire, j'ai femme et bébé à bord, l'avion n'est pas pressurisé et je suis déjà à 10000ft, pas de radar Météo ni GPS, juste un Stormscope, que j'allume. À l'échelle maxi, l'écran du détecteur de foudre s'illumine comme un sapin de Noël, y'a des + partout droit devant!
Je prends alors la décision de changer de route et de faire un grand détour d'au moins 80 à 100 kms vers le sud, avec changement de plan de Vol en route avec le contrôle US, une grande première pour moi. Il faut trouver la bonne route et la noter pour la clairance, pas évident, car ça commence à turbuler. Le contrôle US accepte sans soucis ma demande "due to weather".
Bien m'en a pris: malgré ce détour, nous avons traversé un Méga orage, ça pétait de partout, les éclairs illuminaient la cabine toutes les 30 secondes. J'ai dû déconnecter le PA et laisser l'avion monter et descendre en l'accompagnant pour amortir les turbulences. Tout ça de nuit au dessus des montagnes avec des sommets à 6000ft, je croise les doigts pour que je n'aie pas de problème moteur, sinon ça va devenir TRÈS compliqué.
Mais mon choix de passer nettement plus au Sud semble avoir été le bon, les grappes serrées de + sur le Stormscope se décalent lentement vers la droite, mais là où je me trouve ça pête et ça turbule déjà pas mal sous une pluie battante.
J'ai comme plan B de poursuivre sur Ottawa si les orages sont toujours sur Montréal à notre arrivée, hors de question pour moi de faire une approche aux minimas de nuit avec fortes turbulences et une pluie battante après les trois quarts d'heure sportifs que je viens de passer, il est minuit et je suis fatigué. J'ai largement de quoi côté carburant pour poursuivre jusque là-bas si nécessaire, on se posera, on attend et on revient plus tard.
Et puis, un quart d'heure avant d'arriver à Montréal, tout s'apaise. Comme souvent après les gros orages, la visi remonte en flèche, et j'aperçois les lumières de Montréal bien dégagées, où je pourrai me poser sans encombre.
Moralité: si on le sent pas, "bidons pleins, cœur léger"! Et ne pas hésiter à se dérouter en vol si nécessaire.
Maintenant un meilleur souvenir MTO?
Il y en a plein, mais mon préféré est celui de mon training IFR, où après un décollage en Navajo sous la neige, des nuages bas et gris, une visi médiocre, et au bout d'un quart de d'heure de montée en VSV, tu perces la couche pour la première fois et tu débouches en plein soleil avec une visi illimitée. Je suis pas croyant, mais croyez moi, j'ai eu ce jour-là l'impression d'avoir la main de Dieu sur mon épaule.
Je vous raconterai pas ma vie, mais c'est exactement pour CA qu'à mon âge je reprends mon ATPL et tous les efforts et sacrifices qui vont avec.
Jacques